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Le suicide assisté : mourir dignement

Publié le 12 janvier 2015 par André Baechler

Voilà douze ans que j’accompagne des personnes en fin de vie. Mon cheminement a débuté en 2003 par les soins palliatifs de Châtel-Saint-Denis, dans le sud du canton de Fribourg, puis j’ai poursuivi de manière indépendante, ainsi qu’en tant qu’accompagnant de personnes souhaitant mettre un terme à leur parcours de souffrance. J’évoque ici ce qui est plus connu sous le nom de « suicide assisté », une pratique légale en Suisse permettant à tout être atteint d’une maladie incurable de se libérer de ses chaînes très paisiblement après avoir pris le temps de compléter ses engagements, autant sur le plan matériel que relationnel.

Beaucoup d’idées toutes faites se colportent sur le suicide assisté. Etant activement impliqué dans cette démarche, je ne peux que constater le fossé existant entre la réalité vécue et l’image que peut s’en faire l’opinion publique à travers les croyances, les peurs infondées et les bruits qui courent. Aussi, je souhaite partager ici mon expérience personnelle afin de vous décrire, le plus objectivement possible, la manière dont se déroule un accompagnement type.

Le premier contact

Lorsqu’un nouveau dossier m’est confié, je rencontre tout d’abord la personne afin de faire connaissance, d’évaluer sa situation ainsi que la pertinence de la demande, et de m’assurer que derrière cette requête, il ne puisse y avoir une quelconque pression de l’entourage. J’évoque également les autres alternatives possibles, comme par exemple les soins palliatifs, l’institution spécialisée, l’aide à domicile… Si la personne est toujours déterminée dans son choix et que sa demande me paraît justifiée, j’explique très clairement que mon rôle n’est ni de la freiner, ni de la pousser dans sa décision et je l’informe que je serai là, si elle le souhaite, pour l’accompagner jusqu’au geste final consistant à ingérer par elle-même la potion létale de pentobarbital. Je lui rappelle bien évidemment que la démarche est totalement gratuite, désintéressée et qu’elle peut y renoncer sans préavis jusqu’au dernier instant.

L’accompagnement

Les personnes que je rencontre sont généralement très sereines et soulagées de se sentir accueillies sans jugement dans leur choix, car il n’est pas toujours évident pour elles d’en parler à l’entourage. Au-delà des aspects techniques que je me dois de leur exposer, nos échanges très riches éveillent parfois une forme de complicité. Je deviens par la force des choses celui qui les accompagne dans leur dernier voyage et les liens qui se créent peuvent être d’une grande intensité. Il en découle un sentiment réciproque de gratitude, car il s’agit bien là d’un échange sur le plan humain. Ce parcours d’accompagnement jusqu’au départ peut se chiffrer en heures dans certaines situations d’urgence, comme en années dans d’autres cas. Plus de la moitié de ces personnes iront jusqu’au terme de la démarche entreprise.

Les proches

A trop vouloir se focaliser sur l’acte d’auto-délivrance qu’est le suicide assisté, on en oublie souvent les proches pour qui ce choix n’est pas toujours évident à vivre. Je n’ai jamais rencontré à ce jour de membre de la famille fermement opposé à la décision d’un parent souhaitant s’en aller. Par amour et par respect, la grande majorité accepte ce départ planifié en soutenant l’être en souffrance dans son choix et une petite minorité le tolère à contrecœur. Mon rôle est également de permettre à chacun de faire un pas vers l’autre lorsqu’il peut y avoir divergence ou incompréhension. Malgré tout, il semble qu’en pareille situation, le plus pénible pour celui ou celle qui s’en va n’est pas d’assumer le geste consistant à boire la potion, mais de s’en aller, tiraillé(e) par le décalage qui peut subsister ainsi que par l’incompréhension, voire le jugement de certains proches.

La date

Il vient alors le moment insolite consistant à fixer la date. Lorsque la personne souffre et qu’elle est déterminée dans sa démarche, il s’agit en vérité d’un grand soulagement. Les mots que j’entends le plus souvent sont : « au plus vite », « demain », « tout de suite ». Une fois le rendez-vous fixé, il n’est pas rare qu’elle m’embrasse ou me fasse part à sa manière de sa gratitude. Il ne s’agit pas pour elle de mourir, mais de se libérer d’une souffrance devenue intolérable. Elle peut maintenant régler les derniers détails de sa vie qui lui permettront de s’en aller en paix. Cela peut consister à revoir certaines personnes, à se réconcilier, à pardonner, à affirmer ce qui n’a jamais été dit, à laisser une trace écrite, à solutionner certains détails matériels… Un bel envol ne peut se faire qu’en se délestant de toutes les charges inutiles.

Le grand jour

Puis arrive le jour de grand départ. Là aussi, ma venue est perçue comme un soulagement et quelquefois même comme une joie. Je demande bien évidemment si le choix est toujours actuel et la réponse est sans équivoque un « oui » très affirmé et souvent empressé. Je donne alors un antiémétique (médicament antivomitif) à la personne qui s’installe là où elle le souhaite, généralement dans son lit ou sur un canapé. Je prépare ensuite la potion létale composée des onze grammes de pentobarbital de sodium dilués dans de l’eau aromatisée d’un peu de sirop à l’orange destiné à atténuer l’amertume du mélange (un peu moins d’un décilitre au total). Il s’agit d’un puissant barbiturique surdosé de cinq fois la dose létale (plus de cinquante fois la dose utilisée pour une narcose).

Le départ

Lorsque la personne entourée de ses proches se sent prête, elle ingère la potion en tenant le verre de ses mains ou en aspirant par une paille si elle n’est plus en mesure de tenir le verre. Elle continue souvent à parler, puis s’endort paisiblement en quelques minutes, comme tout être bien portant s’endort le soir dans son lit. Le sommeil devient progressivement plus profond, la personne se détend, le visage est plus paisible, la respiration devient plus discrète… Sans que ce soit forcément décelable visuellement, les fonctions vitales s’arrêtent après une durée pouvant varier largement entre un quart d’heure et plus rarement quelques heures (en moyenne une demi-heure). On ne peut imaginer de départ plus doux, autant pour celui ou celle qui s’en va que pour les proches à son chevet. Il n’y a ni spasme, ni crispation, ni étouffement, juste un paisible endormissement.

Les incontournables démarches administratives

Par un test de réaction de la pupille à la lumière, je constate le décès et informe la police afin d’engager les démarches administratives qu’il m’incombe de coordonner et de gérer. Un des policiers arrivés sur les lieux prend ma déposition, le médecin légiste constate officiellement le décès, le corps est remis aux pompes funèbres et le dossier termine son parcours sur le bureau du procureur qui déclare un non-lieu. La procédure administrative sur le site dure en moyenne deux à trois heures à compter du décès jusqu’au départ des pompes funèbres emportant le corps. Avant de prendre congé, je laisse toujours mes coordonnées aux proches. Je leur rappelle que je suis également présent, s’ils le souhaitent, au-delà du décès, car si le sentiment du moment s’apparente souvent à du soulagement, il ne reste pas moins à faire le deuil de celle ou celui qui a pris son envol.

En conclusion

Le suicide assisté est considéré sur un plan juridique comme une mort violente dans le sens où il s’agit d’un acte provoqué. Même si je la respecte, je me sens personnellement en profond décalage avec cette définition. Il ne s’agit pas à mes yeux d’un suicide et encore moins d’une mort violente, mais d’une libération douce, n’allant pas à l’encontre de l’ordre naturel des choses, puisque de toute manière l’issue de la maladie s’avère incontournable.

La naissance et la mort sont les deux étapes balisant une vie. Si l’on peut planifier une césarienne afin d’amener à la vie un nouveau-né qui n’aurait pas dû naître par voie naturelle, il me semble évident que l’on puisse, au même titre, planifier un départ afin d’abréger les souffrances inutiles d’une agonie.

Dans une société qui revendique haut et fort sa liberté, de quel droit pourrait-on humainement imposer la vie à une personne souffrante qui choisit consciemment d’y renoncer ? Chaque être sur cette terre devrait être en droit de disposer de sa vie sans avoir à en référer à qui que ce soit. Il s’agit là d’une liberté fondamentale méritant pleinement de figurer dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Je suis heureux de vivre dans un pays où cette démarche est reconnue et j’espère que les débats en cours dans le monde aboutiront vers plus d’ouverture dans ce sens.

Je précise bien que je ne milite pas pour le suicide assisté, mais que je le soutiens en tant qu’alternative possible à la fin de vie. Même si l’on perçoit bien souvent une confrontation entre soins palliatifs et suicide assisté, je pense qu’il n’existe pas de contradiction entre ces deux options et qu’il appartient à chacun de choisir la manière dont il souhaite terminer son parcours de vie.

Des questions sur le suicide assisté ?

Si vous avez des questions sur ce thème, j’y réponds volontiers publiquement en prolongation de cet article. Vous pouvez les formuler ci-dessous par un message facebook ou alors me les adresser à : suicide.assiste@a-baechler.net

 

En réponse à vos questions :

Pour moi la différence n’a jamais été très claire entre « euthanasie » et « assistance au suicide ». Pouvez-vous m’éclairer ?

Dans la pratique de l’euthanasie, l’intervenant prend un rôle actif consistant par exemple à effectuer une injection létale. Dans l’assistance au suicide, l’intervenant n’a pas de geste actif et se contente de remettre la potion létale que la personne boit par ses propres moyens. Si elle n’est plus en mesure de l’ingérer par voie orale, il est possible d’installer une perfusion, dès l’instant où la personne est en mesure d’ouvrir par elle-même la molette libérant la solution létale dans son organisme via le système sanguin. Celui ou celle qui n’est plus en mesure physique d’assumer le geste ne peut donc pas recourir au suicide assisté, même si sa capacité de discernement est préservée.

Quel est l’élément déclenchant majeur d’une maladie qui incite à recourir au suicide assisté ?

Il y a trois principaux facteurs souvent évoqués lors d’une demande d’assistance au départ : La souffrance, la déchéance et la dépendance liée à la perte d’autonomie. La souffrance peut être gérée efficacement en milieu palliatif, mais la déchéance d’un corps en décrépitude n’est tout simplement pas envisageable pour certains. D’autres ne peuvent concevoir de renoncer à l’autonomie qui leur est chère et encore moins envisager de devenir un poids pour leurs proches. Il s’agit d’un choix très personnel et ce qui est évident pour l’un ne l’est pas forcément pour l’autre.

Les personnes vivant une grande souffrance psychologique peuvent-elles bénéficier d’une telle aide afin de mourir dans la dignité ?

En Suisse, il n’existe aucune loi régissant spécifiquement le suicide assisté. La seule loi pouvant fixer un cadre à cette pratique date du siècle passé et précise très sobrement que chacun peut aider une personne à mourir, dès l’instant où ce n’est pas pour un motif égoïste. Toutefois, les autorités cantonales demandent que toute personne souhaitant être accompagnée dans cette démarche dispose d’une attestation de capacité de discernement, document devant être établi par un médecin. Malheureusement, certains d’entre eux considèrent à tort qu’un état dépressif retire toute capacité de discernement. Il existe donc une vaste polémique au sein du corps médical et les avis sur la question sont très divergents.

En théorie et sur un plan juridique, il est possible d’aider une personne en souffrance purement psychologique à mourir, dès l’instant où un médecin certifie sa capacité de discernement. En pratique, le recours à l’assistance au suicide se fait principalement par des personnes souffrant d’une maladie physique incurable.

De quand date la législation régissant l’assistance au suicide en Suisse et où peut-on la consulter ?

La pratique de l’assistance au suicide repose sur le seul article 115 du Code pénal suisse intitulé « Incitation et assistance au suicide ». Son contenu intégral datant du 21 décembre 1937 est le suivant :

Celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni d’une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d’une peine pécuniaire.

Aucune autre loi fédérale en Suisse ne régit la pratique de l’assistance au suicide.

Qui valide une demande d’assistance au suicide ?

Sur un plan juridique, personne, puisqu’il n’existe pas de loi régissant cette pratique en Suisse. Chacun peut aider autrui à franchir ce pas dès l’instant où il est en mesure de justifier le désintéressement de son geste en fournissant un certificat médical attestant la capacité de discernement de la personne requérante ainsi qu’une lettre manuscrite demandant l’aide à l’auto-délivrance. Personnellement j’accompagne pour l’association Exit qui effectue une première sélection avant de me transmettre un dossier.

Qui doit officiellement être présent lors d’un suicide assisté ?

Tout simplement la personne qui décide de s’en aller et son accompagnant. Aucune présence judiciaire ou médicale n’est requise. Généralement quelques proches accompagnent celui ou celle qui s’en va. Pour ma part, je demande qu’il y ait au moins une personne présente, qu’elle soit membre de la famille ou amie.

Dans quels endroits peut se pratiquer une assistance au suicide ?

« L’accompagnement au départ » (comme je préfère l’appeler) a lieu principalement au domicile de la personne ou d’un parent/ami disposé à l’accueillir. Aucune loi n’interdit qu’il se fasse dans un établissement public tel qu’un hôpital, une institution spécialisée ou un foyer pour personnes âgées (EMS, home, …). Certains acceptent de bonne foi et d’autres décident simplement que « ce n’est pas possible », par principe, conviction morale ou religieuse. Les cantons protestants sont bien évidemment beaucoup plus ouverts que les cantons catholiques. Mais partout les mentalités évoluent…

La recette utilisée pour les assistances au suicide est-elle toujours la même et peut-on se la procurer en pharmacie ?

Oui, le principe actif utilisé est toujours le même. Il s’agit d’un barbiturique : le pentobarbital de sodium nommé également « pentobarbital sodique » ou « natrium pentobarbital ». Celui-ci est fréquemment utilisé en anesthésie et euthanasie vétérinaire. A faible dose, il peut être administré comme somnifère, sédatif ou anticonvulsif. Sa distribution est plutôt bien contrôlée si l’on considère que même les Etats-Unis, que le fabricant refuse de livrer, se retrouvent fréquemment dans l’incapacité d’appliquer la peine capitale par injection létale. Chaque pays dispose de sa propre réglementation en matière de distribution. En Suisse les pharmacies sont en mesure de s’approvisionner et de délivrer le pentobarbital sur présentation d’une ordonnance médicale.

La France discute actuellement le fait de légaliser le suicide assisté mais je crains que la complexité du cadre juridique le rende inapplicable dans des délais raisonnables. Quel est chez vous en Suisse le délai légal de préavis entre la demande et l’autorisation accordée ?

Il n’existe pas en Suisse de délai de préavis, dans le sens qu’aucune autorité médicale ou judiciaire n’est informée avant le décès de la personne. Dès l’instant où les documents requis sont réunis (certificat médical, lettre manuscrite) et que la demande m’apparaît comme justifiée, je peux donc intervenir sans délai, si la situation l’exige.

Si la douleur est correctement traitée, l’assistance au suicide est-elle toujours nécessaire ?

Il ne s’agit pas là d’une nécessité, mais d’un choix très personnel qu’il ne m’appartient pas de juger. Une douleur maîtrisée n’exclut pas la souffrance morale, la déchéance et la dépendance qui sont également des critères déterminants pouvant mener à la décision de recourir au suicide assisté. Lorsque la perte d’autonomie est totale, qu’il n’est plus possible de lire, de tenir une conversation, d’assumer ses besoins corporels, de prendre plaisir à quoi que ce soit, il ne suffit pas d’apaiser la douleur physique pour donner envie à la personne de poursuivre sa lente décrépitude.

Quel est l’état d’esprit et l’humeur de la personne qui s’en va ?

Chacun le vit bien évidemment à sa façon, mais on peut observer quasi-systématiquement un état d’apaisement, de soulagement et de détermination dans le choix. L’humour est souvent présent. Cette apparente légèreté vient probablement du fait que la personne a pu se préparer à partir en faisant le deuil de sa vie. Comme elle a généralement réglé tout ce qui devait l’être, elle s’en va sereinement.

Est-ce qu’il y a parfois des hésitations de dernière minute ?

Ça ne m’est personnellement jamais arrivé, même si je vérifie toujours une dernière fois la détermination avant de remettre la potion de pentobarbital. Il faut être conscient qu’il ne s’agit jamais d’un choix fait sur un coup de tête, mais d’une décision mûrement réfléchie tout au long d’un processus de souffrance et de déchéance. Ceci explique sans doute la sérénité qui règne dans les minutes qui précèdent l’ingestion du breuvage et l’endormissement.

Y’a-t-il parfois des départs qui se passent mal ou dans la souffrance ?

Non ! Cette question m’est posée fréquemment et il semble que de nombreuses fausses croyances circulent à ce sujet, prétendant que des personnes auraient souffert ou seraient mortes étouffées. Une fois la potion de pentobarbital ingérée, l’endormissement survient dans un délai pouvant varier entre une et cinq minutes. Les muscles se détendent et le sommeil devient rapidement plus profond. Les fonctions vitales ralentissent progressivement jusqu’à l’arrêt complet du système respiratoire et du coeur. Le processus est tellement doux qu’il est souvent difficile de fixer l’heure exacte du décès. Seule la durée peut varier largement selon l’état général et la capacité d’absorption du système digestif.

Pourquoi la médecine est-elle aussi fermement opposée au suicide assisté ?

Tout d’abord, il faut préciser que les mentalités évoluent et que le corps médical est relativement partagé aujourd’hui sur cette question. De nombreux médecins très humains se préoccupent de l’état global de leur patient, le respectant et le soutenant dans ses choix, même s’il décide de planifier son départ. D’autres sans doute déconnectés de leur humanité et obsédés par le défi de prolonger l’existence à n’importe quel prix, envisagent l’assistance au suicide comme un échec personnel ou un acte allant à l’encontre de leurs principes. Ces derniers, lorsqu’ils sont confrontés à des situations concrètes sont souvent amenés à revoir leur position sur la question. Il faut rappeler qu’en Suisse, aucun médecin ne peut s’opposer au choix d’un patient de recourir au suicide assisté, dès l’instant où la demande est justifiée par son état de santé.

Le suicide assisté n’est-il pas encore un privilège de plus réservé aux pays riches qui en ont les moyens ?

Si l’on considère que la dose létale de onze grammes de pentobarbital coûte le prix d’un DVD, je ne pense pas. De plus il ne s’agit pas d’un acte médical et le temps consacré pour accompagner la personne est mis à disposition bénévolement. Je rappelle que dans le contexte de l’association Exit, la démarche est totalement gratuite et financée par les cotisations annuelles des membres.

J’imagine que cette manière de quitter la vie n’est pas très en accord avec la foi religieuse ?

Il s’agit là d’un cliché dépassé. Même si les organisations religieuses ont tendance à avoir un avis tranché sur tout et à promouvoir, pour certaines, le culte de la souffrance, j’accompagne autant de personnes athées que croyantes. La foi véritable ne consiste pas à obéir aveuglément à une autorité religieuse, mais à suivre ce qui vibre au plus profond de soi.

Quelles sont les qualités à posséder ou développer afin de devenir accompagnant, puis actif en autonomie ?

Pour devenir accompagnant de personnes en fin de vie, il faut être en paix avec la mort, calme de nature, serein, à l’écoute et dans le non-jugement. Pour ce qui est d’être « actif en autonomie » en Suisse dans une démarche d’assistance au suicide, il faut être sérieux, méticuleux, respectueux de la procédure et des limites fixées, car une grande confiance nous est accordée et la trahir pourrait remettre en question l’ouverture actuelle.

Pour ma part, je n’ai pas le sentiment d’avoir dû « développer » des qualités particulières. Je me suis toujours senti en paix et à ma place dans des situations de fin de vie. Mes convictions profondes sur un plan spirituel y sont sans doute pour beaucoup. Je ne les ai pas acquises, mais je suis né avec. La mort m’apparaît donc comme une transition, au même titre qu’une naissance.

Quelle est l’action que tu primes et l’action qui te déprime ?

Je dirais qu’il s’agit plus d’un état d’être que d’une action. Il n’y a rien qui me déprime dans ces accompagnements, sans quoi je cesserais cette activité. Il y a des moments intenses, très forts, d’une grande richesse sur un plan humain. J’accueille beaucoup d’émotions, de larmes, mais celles-ci ne m’envahissent pas. J’apporte au mieux un peu de paix et d’amour dans cette étape de vie qu’est la mort.

A force de voir mourir des gens, ne devient-on pas insensible à la mort ?

Non, je ne crois pas. Le premier décès auquel j’ai assisté très sereinement était celui de ma grand-mère. Je ne suis pas moins touché aujourd’hui lorsqu’une personne s’en va sous mes yeux. La mort n’a rien de banal et elle reste, au même titre que la naissance, l’une des deux plus importantes étapes de la vie. Chaque départ est un moment fort et j’essaie de le faciliter au mieux, autant pour la personne qui s’en va, que pour ceux qui restent.

L’assistance au suicide implique de planifier son départ et ce serait impensable pour moi de fixer la date et l’heure de ma mort.

La mort est un tel tabou dans notre société que l’idée de la planifier nous confronte de face à sa réalité. Lorsque l’on passe sa vie à la fuir, il est normal que l’idée de l’inscrire dans son agenda nous apparaisse comme cauchemardesque. Si l’on se place maintenant du côté de la personne qui souffre depuis des années et qui a eu le temps d’apprivoiser cette perspective incontournable qu’est la mort, le fait de la planifier prend un sens totalement différent. Quand la souffrance domine le quotidien, il s’agit alors d’un rendez-vous libératoire, d’un moment qui peut même devenir une réjouissance.

Est-ce naturel de provoquer la mort par suicide assisté ?

Voilà un grand débat philosophique ! Je voudrais tout d’abord nuancer la question puisque dans cette démarche il ne s’agit pas de « provoquer la mort », mais de la planifier lorsqu’elle s’avère incontournable, ce qui est essentiellement différent. Alors est-ce naturel ? Non bien évidemment, pas plus naturel que de s’acharner à maintenir un être humain en vie. La grande majorité des personnes demandant assistance afin de s’en aller dignement seraient déjà mortes depuis longtemps si l’on avait laissé faire la nature. Alors je répondrai par cette autre question : Est-ce plus naturel de prolonger artificiellement une vie ou de mettre un terme à ses souffrances ? Chacun y apportera sa réponse personnelle.

Ne risque-t-on pas des abus à force de vouloir libéraliser l’assistance au suicide ainsi que l’euthanasie ?

Non, je ne le pense pas et j’affirmerais même le contraire : Je prends à titre d’exemple la France qui à ce jour (janvier 2015) interdit ces deux pratiques. Il faut savoir que des milliers de français sont aidées illégalement chaque année, sur territoire français, à mourir dignement, à tel point qu’il doit être difficile pour les magistrats de fermer les yeux sur cette réalité. Interdire quelque chose que l’on ne peut contrôler est à mes yeux la meilleure manière de provoquer des abus. Une libéralisation dans ce sens ne permet que de mieux gérer ces situations et surtout de le faire ouvertement, en toute transparence.

La population craint souvent les débordements et la généralisation de l’assistance au suicide. Etes-vous parfois tenté ou sollicité afin de franchir la ligne blanche ?

Cette inquiétude existe depuis très longtemps et pourtant il n’a pas eu comme le craignaient certains d’augmentation fulgurante des demandes. Celles-ci restent ponctuelles et évitent, il faut le rappeler, de nombreuses morts violentes, spectaculaires et traumatisantes. Pour ma part, je suis extrêmement strict avec les limites définies, par respect pour la confiance qui m’est accordée en tant qu’accompagnant, mais également parce que tout dépassement de la ligne blanche pourrait remettre en question la pratique de l’assistance au suicide en Suisse. Les conditions d’acception sont à la fois simples et claires, ce qui évite toute ambiguïté ou marge de manœuvre pouvant occasionner des débordements. Je n’accepte d’accompagner une personne au terme de sa démarche que si les documents exigés sont réunis et que la demande est justifiée.

Vous dites que plus de la moitié des demandeurs vont au bout de leur démarche. Qu’en est-il des personnes restantes qui n’ont pas recours à l’assistance au suicide ?

Certaines de ces personnes décèdent subitement ou sont rattrapées par la maladie et donc plus en mesure de recourir à cette assistance (incapacité physique, perte de la capacité de discernement, coma). D’autres renoncent parfois suite à des pressions familiales ou médicales. D’autres encore découvrent le travail remarquable effectué par les soins palliatifs et choisissent alors de s’en aller auprès d’eux. Quel que soit le chemin emprunté, ma satisfaction est toujours d’apprendre que la personne s’en est allée sereinement et paisiblement.


Les photos illustrant cet article ont été prises aux alentours de l’abbaye cistercienne d’Hauterive dans le canton de Fribourg.

 

Tag(s) : #Fin de vie
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