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Voilà douze ans que j’accompagne des personnes en fin de vie. Mon cheminement a débuté en 2003 par les soins palliatifs de Châtel-Saint-Denis, dans le sud du canton de Fribourg, puis j’ai poursuivi de manière indépendante, ainsi qu’en tant qu’accompagnant de personnes souhaitant mettre un terme à leur parcours de souffrance. J’évoque ici ce qui est plus connu sous le nom de « suicide assisté », une pratique légale en Suisse permettant à tout être atteint d’une maladie incurable de se libérer de ses chaînes très paisiblement après avoir pris le temps de compléter ses engagements, autant sur le plan matériel que relationnel.







Beaucoup d’idées toutes faites se colportent sur le suicide assisté. Etant activement impliqué dans cette démarche, je ne peux que constater le fossé existant entre la réalité vécue et l’image que peut s’en faire l’opinion publique à travers les croyances, les peurs infondées et les bruits qui courent. Aussi, je souhaite partager ici mon expérience personnelle afin de vous décrire, le plus objectivement possible, la manière dont se déroule un accompagnement type.

Le premier contact

Lorsqu’un nouveau dossier m’est confié, je rencontre tout d’abord la personne afin de faire connaissance, d’évaluer sa situation ainsi que la pertinence de la demande, et de m’assurer que derrière cette requête, il ne puisse y avoir une quelconque pression de l’entourage. J’évoque également les autres alternatives possibles, comme par exemple les soins palliatifs, l’institution spécialisée, l’aide à domicile… Si la personne est toujours déterminée dans son choix et que sa demande me paraît justifiée, j’explique très clairement que mon rôle n’est ni de la freiner, ni de la pousser dans sa décision et je l’informe que je serai là, si elle le souhaite, pour l’accompagner jusqu’au geste final consistant à ingérer par elle-même la potion létale de pentobarbital. Je lui rappelle bien évidemment que la démarche est totalement gratuite, désintéressée et qu’elle peut y renoncer sans préavis jusqu’au dernier instant.

L’accompagnement

Les personnes que je rencontre sont généralement très sereines et soulagées de se sentir accueillies sans jugement dans leur choix, car il n’est pas toujours évident pour elles d’en parler à l’entourage. Au-delà des aspects techniques que je me dois de leur exposer, nos échanges très riches éveillent parfois une forme de complicité. Je deviens par la force des choses celui qui les accompagne dans leur dernier voyage et les liens qui se créent peuvent être d’une grande intensité. Il en découle un sentiment réciproque de gratitude, car il s’agit bien là d’un échange sur le plan humain. Ce parcours d’accompagnement jusqu’au départ peut se chiffrer en heures dans certaines situations d’urgence, comme en années dans d’autres cas. Plus de la moitié de ces personnes iront jusqu’au terme de la démarche entreprise.



Les proches

A trop vouloir se focaliser sur l’acte d’auto-délivrance qu’est le suicide assisté, on en oublie souvent les proches pour qui ce choix n’est pas toujours évident à vivre. Je n’ai jamais rencontré à ce jour de membre de la famille fermement opposé à la décision d’un parent souhaitant s’en aller. Par amour et par respect, la grande majorité accepte ce départ planifié en soutenant l’être en souffrance dans son choix et une petite minorité le tolère à contrecœur. Mon rôle est également de permettre à chacun de faire un pas vers l’autre lorsqu’il peut y avoir divergence ou incompréhension. Malgré tout, il semble qu’en pareille situation, le plus pénible pour celui ou celle qui s’en va n’est pas d’assumer le geste consistant à boire la potion, mais de s’en aller, tiraillé(e) par le décalage qui peut subsister ainsi que par l’incompréhension, voire le jugement de certains proches.

A trop vouloir se focaliser sur l’acte d’auto-délivrance qu’est le suicide assisté, on en oublie souvent les proches pour qui ce choix n’est pas toujours évident à vivre. Je n’ai jamais rencontré à ce jour de membre de la famille fermement opposé à la décision d’un parent souhaitant s’en aller. Par amour et par respect, la grande majorité accepte ce départ planifié en soutenant l’être en souffrance dans son choix et une petite minorité le tolère à contrecœur. Mon rôle est également de permettre à chacun de faire un pas vers l’autre lorsqu’il peut y avoir divergence ou incompréhension. Malgré tout, il semble qu’en pareille situation, le plus pénible pour celui ou celle qui s’en va n’est pas d’assumer le geste consistant à boire la potion, mais de s’en aller, tiraillé(e) par le décalage qui peut subsister ainsi que par l’incompréhension, voire le jugement de certains proches.

Le grand jour

Puis arrive le jour de grand départ. Là aussi, ma venue est perçue comme un soulagement et quelquefois même comme une joie. Je demande bien évidemment si le choix est toujours actuel et la réponse est sans équivoque un « oui » très affirmé et souvent empressé. Je donne alors un antiémétique (médicament antivomitif) à la personne qui s’installe là où elle le souhaite, généralement dans son lit ou sur un canapé. Je prépare ensuite la potion létale composée des onze grammes de pentobarbital de sodium dilués dans de l’eau aromatisée d’un peu de sirop à l’orange destiné à atténuer l’amertume du mélange (un peu moins d’un décilitre au total). Il s’agit d’un puissant barbiturique surdosé de cinq fois la dose létale (plus de cinquante fois la dose utilisée pour une narcose).

Le départ

Lorsque la personne entourée de ses proches se sent prête, elle ingère la potion en tenant le verre de ses mains ou en aspirant par une paille si elle n’est plus en mesure de tenir le verre. Elle continue souvent à parler, puis s’endort paisiblement en quelques minutes, comme tout être bien portant s’endort le soir dans son lit. Le sommeil devient progressivement plus profond, la personne se détend, le visage est plus paisible, la respiration devient plus discrète… Sans que ce soit forcément décelable visuellement, les fonctions vitales s’arrêtent après une durée pouvant varier largement entre un quart d’heure et plus rarement quelques heures (en moyenne une demi-heure). On ne peut imaginer de départ plus doux, autant pour celui ou celle qui s’en va que pour les proches à son chevet. Il n’y a ni spasme, ni crispation, ni étouffement, juste un paisible endormissement.







Les incontournables démarches administratives

Par un test de réaction de la pupille à la lumière, je constate le décès et informe la police afin d’engager les démarches administratives qu’il m’incombe de coordonner et de gérer. Un des policiers arrivés sur les lieux prend ma déposition, le médecin légiste constate officiellement le décès, le corps est remis aux pompes funèbres et le dossier termine son parcours sur le bureau du procureur qui déclare un non-lieu. La procédure administrative sur le site dure en moyenne deux à trois heures à compter du décès jusqu’au départ des pompes funèbres emportant le corps. Avant de prendre congé, je laisse toujours mes coordonnées aux proches. Je leur rappelle que je suis également présent, s’ils le souhaitent, au-delà du décès, car si le sentiment du moment s’apparente souvent à du soulagement, il ne reste pas moins à faire le deuil de celle ou celui qui a pris son envol.







En conclusion







Le suicide assisté est considéré sur un plan juridique comme une mort violente dans le sens où il s’agit d’un acte provoqué. Même si je la respecte, je me sens personnellement en profond décalage avec cette définition. Il ne s’agit pas à mes yeux d’un suicide et encore moins d’une mort violente, mais d’une libération douce, n’allant pas à l’encontre de l’ordre naturel des choses, puisque de toute manière l’issue de la maladie s’avère incontournable.







La naissance et la mort sont les deux étapes balisant une vie. Si l’on peut planifier une césarienne afin d’amener à la vie un nouveau-né qui n’aurait pas dû naître par voie naturelle, il me semble évident que l’on puisse, au même titre, planifier un départ afin d’abréger les souffrances inutiles d’une agonie.







Dans une société qui revendique haut et fort sa liberté, de quel droit pourrait-on humainement imposer la vie à une personne souffrante qui choisit consciemment d’y renoncer ? Chaque être sur cette terre devrait être en droit de disposer de sa vie sans avoir à en référer à qui que ce soit. Il s’agit là d’une liberté fondamentale méritant pleinement de figurer dans la Déclaration universelle des droits de l’homme. Je suis heureux de vivre dans un pays où cette démarche est reconnue et j’espère que les débats en cours dans le monde aboutiront vers plus d’ouverture dans ce sens.







Je précise bien que je ne milite pas pour le suicide assisté, mais que je le soutiens en tant qu’alternative possible à la fin de vie. Même si l’on perçoit bien souvent une confrontation entre soins palliatifs et suicide assisté, je pense qu’il n’existe pas de contradiction entre ces deux options et qu’il appartient à chacun de choisir la manière dont il souhaite terminer son parcours de vie.

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